Lorsque le Commandant Daniel Manga arrive en 2017 à Saint-Louis, ancienne capitale des pays colonisés par la France en Afrique de l’Ouest, l’un de ses plus grands défis était de s’attaquer à l’épineux problème de délimitation des aires protégées. Il considère que la maitrise des limites des forêts est un problème national. Ainsi, il démarre avec la forêt classée de Diama. Mais la tâche s’annonça difficile. D’abord, lui et son équipe ne disposaient pas de moyens conséquents pour réaliser la délimitation qu’il croyait facile. Ensuite, les bases données dont il disposait ne correspondaient pas avec les cartes des arrêtés de classement qui étaient pour la plupart antérieures à l’indépendance du Sénégal en 1960. « Dans la plupart des forêts classées, les données de base étaient en deçà des superficies contenues dans les arrêtés de classement. Par exemple, les données de base qu’un des services de l’Etat du Sénégal nous avait remises estimaient la superficie de la forêt classée de Naéré à 800 ha contre 1600 ha contenus dans l'arrêté de classement », dit avec étonnement le Commandant Manga, chef du service régional des eaux et forêts de Saint-Louis. Comment retrouver les vraies limites des forêts classées si les données des services de l’Etat ne concordent pas ? La solution est vite trouvée. Il se tourna ainsi vers les communautés riveraines des aires protégées pour leur participation dans le processus. Mais également vers PDIDAS pour un soutien financier, à travers la mise en œuvre de la composante « gestion des forêts classées et des réserves naturelles » exécutée par l’Agence Nationale de la Grande Muraille Verte (ANGMV). Pour le cas de la forêt classée de Naéré située dans la Commune de Ngnith, selon le Commandant Manga « Les populations n’étaient pas d’accord avec les contours fournis par les services techniques. C’est par la suite que nous avions réalisé qu’il fallait s’appuyer sur les communautés qui connaissent les contours des forêts pour résoudre ces problèmes. Ces communautés nous ont indiqué les tracés des pare-feux qui servent aussi de moyens de délimitation des forêts même si beaucoup d’entre eux ont disparu au fil du temps dans la plus part des aires protégées » poursuit-il.
Au début les communautés étaient réticentes dans certaines zones parce qu’elles pensaient que les services des eaux et forêts étaient venus pour les arrêter ou les déguerpir des zones occupées qui empiétaient sur une partie des forêts où ils ont des champs de culture. Les besoins en terres de cultures les ont poussés à empiéter sur certaines forêts. La stratégie a consisté à mettre en place des comités de gestion villageois et des associations inter-villageoises (AIV) autour de chaque forêt classée pour assurer une participation active des communautés au processus de délimitation.
« Notre stratégie a consisté à faire beaucoup de sessions de sensibilisation pour sensibiliser les communautés et obtenir leur adhésion à l’idée de la délimitation. Nous avions expliqué que chaque forêt doit disposer d’un plan d’aménagement qui sera réalisé et mis en œuvre par elles-mêmes avec l’appui de services compétents. Nous avons profité de ces sessions de sensibilisation pour mettre en place des comités villageois de développement composés d’hommes et de femmes des villages riverains des aires protégées. Ces comités villageois constituaient ensuite des AIV. Chaque forêt dispose d’une association inter-villageoise. Nous avions compris que les comités étaient importants pour la réussite la délimitation », se souvient Commandant Manga.
Après la délimitation avec l’appui des communautés, des cartes sont réalisées. Commandant Manga et son équipe ont tenu des séances de restitution des surfaces délimitées à l’aide des cartes auprès des communautés pour recueillir leurs observations sur le travail effectué. Une deuxième session a été nécessaire pour valider les contours des aires protégées définis dans les arrêtés de classement grâce au consensus trouvé avec les communautés.
Alassane Sow, éleveur, 54 ans, est fier d’avoir participé à ce travail. « J’ai fait le tour des villages avec les agents des eaux et forêts pour voir les limites de la forêt. Nous avons procédé ainsi pour délimiter les 2000 ha de notre forêt classée. Le travail de délimitation nous a remis au cœur de la gestion des forêts. Nous avons compris que c’est à nous de faire régénérer la forêt et de la protéger pour notre bien. Elle sert de refuge pour nos animaux en saison sèche car 60% des personnes qui vivent autour de notre forêt classée sont des éleveurs », témoigne, enthousiaste Monsieur Sow qui a été porté à la tête de l’AIV de Thilène. Pour assurer une pérennisation de l’AIV, les membres organisent une réunion mensuelle tournante et se cotisent à raison 2000 F CFA (4 USD) par village.
L’appui du PDIDAS a permis de dérouler le processus participatif. « Si le PDIDAS n’avait pas appuyé financièrement l’activité, le travail n’allait pas être réalisé parce qu’il fallait imprimer les cartes, prendre en charge les frais d’organisation des réunions, appuyer en carburant les services de l’Etat. L’appui du PDIDAS a été très conséquent », souligne le Commandant Manga. « Nous avons noté un grand enthousiasme des communautés. Au fur et mesure qu’on avançait dans le travail, les liens se raffermissaient avec les communautés qui manifestaient l’envi de procéder au bornage, au pancartage et à la mise en œuvre des plans d’aménagement et gestion participatifs (PAGP). Les communautés attendent des retombées de la mise en œuvre des PAGP. Elles ne cessent de nous appeler pour demander quand est-ce qu’on va dérouler ce qui reste (bornage, pancartage, plans d’aménagement) ».
Pour sa part, Mme Ndeye Coura Mbaye Diop, Coordinatrice du PDIDAS, estime que « la délimitation des aires protégées participe de leur bonne gestion afin qu’elles soient utiles aux communautés qui se les approprient ».
Grace à ce travail de délimitation, le Commandant Manga et son équipe ont reçu les félicitations de son Directeur et du Ministère de l’environnement dont le Secrétaire Général a demandé que l’état des lieux des forêts soit fait au niveau national pour en connaitre les limites et les parties empiétées.
Les délimitations ont permis au PDIDAS et à son partenaire l’ANGMV d’élaborer huit plans d’aménagement qui ont été validés avec les communautés. La mise en œuvre de ces plans d’aménagement permettra de répondre aux besoins des communautés en termes de formation en gestion financière, en techniques de protection des forêts